L'introduction de l'exposé, "Se nourrir et être rassasié", était un certain nombre de questions posées et ayant conduit tour à tour à voir la complexité même du terme aliment qui relie l'alimentation et la nutrition".
"Qu'est-ce
qui rassasie ? " l'épilogue de l’exposé répondait en ces termes : l’aliment doit être sain; sa composition équilibrée
doit être respectée à toutes les étapes de la digestion; les nutriments
absorbés doivent être utilisés comme il faut dans la voie métabolique; les nutriments
et les métabolites dont l’organisme a besoin doivent être assimilés, c’est-à-dire entrés dans les fonctions de croissance, de
construction et de reproduction.
Toutefois, de l'ingestion de l'aliment à
l'assimilation des nutriments et métabolites, plusieurs facteurs entrent en jeu.
En plus, il y a les interactions de ces facteurs qui peuvent être synergiques
ou antagonistes et qui ne sont pas forcément bénéfiques pour digérer ou
absorber ou encore métaboliser et assimiler.
Ce qui nourrit, c'est le
nutriment et le métabolite assimilés. Aussi, l'exposé "Se nourrir et être rassasié" soulevait quelques
questionnements concernant l'assimilation. Quelles en sont les conditions ? l’assimilation aurait-elle
sa physiologie ? Enfin, l'organisme assimile-t-il le nutriment ou le
nutriment s'assimile-t-il à l'organisme ? est aussi une question qui peut être
posée et peut-être bien à répondre. Aussi, l’assimilation du nutriment n’est-elle
pas en matière de connaissances scientifiques actuelles comparable au métabolisme, jusqu'à la découverte des enzymes et la mise en évidence de leur fonction, il y
a à peine un siècle ?
La qualité et la quantité du
nutriment ne suffisent pas toujours pour nourrir. Aussi, « La trempe d’un
nutriment, c’est sa trame, sa trappe, sa traque…et aussi sa trace ! ». Mieux
encore, ne pourrait-on pas dire que la trempe d'un aliment c'est ce qui fait
dire « Je mange donc je suis ! » Mais qu'est ce que c'est, au reste ?
Aminta raconte son expérience de "Ce qui rassasie ?"
197.,
c’était l’année terrible dans cette partie du monde. La saison sèche était bien
avancée et les premières pluies tardaient à tomber.
Cette
année-là, le gros bétail (bovins et dromadaires) sorti du bassin du grand
fleuve et du sable arrivait sur le plateau par des dizaines de têtes. Lorsque l’on
disait à leurs bergers « Vous êtes donc si riches ! » ils
répondaient : « C’est ce qui reste de nos troupeaux. Nous essayons de
les vendre pour acheter du grain… ils sont perdus, trop épuisés par la longue
sécheresse… ». Mais hélas, ils ne vendaient rien ! Et les pâturages
du plateau manquaient d’herbe de jour en jour et le soleil se faisait de plus
en plus accablant. Le bétail affaibli tombait.
Lorsque
les pluies arrivèrent, en juin, il ne restait plus aux bergers que la force
pour réajuster le turban, retrousser les manches du boubou et remettre
le bâton du berger sur les épaules tel un joug !
Pour
toute assurance et indemnisation, ces bergers avaient que leur Espérance :
« Dieu est Vivant, Dieu Suffit ! » puis ils allaient de porte en
porte, voire de nation en nation à la quête de leur pitance quotidienne et
peut-être bien de quoi ramener à la maison, un jour par la volonté de
Dieu ! et surtout en attendant la subvention al barca, celle-là
même qui donna à leurs pères de constituer la richesse qu’ils venaient de
perdre !...Comme ils le disaient eux même !
Un matin de cette saison, j’étais encore adolescent, je vis une dame
entrer précipitamment dans la cours familiale, elle portait son bras droit sur
la tête, signe de détresse et de supplication, et de l’autre elle tentait de
renouer le pagne qui lui échappait des hanches. Dès qu’elle eut
franchi la porte, elle se courba et cria une fois le nom de Dieu puis se laissa
tomber par terre. Ma mère accourut et la
releva. Elle prit la calebasse de la dame et partit la remplir de grain. Elle
la lui apporta en disant : « Prends ça pour aujourd’hui, puisse-t-il
rassasier… demain appartient à demain et à Dieu qui le fait… ».
La
dame répondit « Rendons Lui grâce ! ». J’étais sous le choc, cloué sur place, les yeux hagards, j’aurais voulu dire
quelque chose mais rien ne sortait de ma gorge.
Cette
dame je la connaissais, la dernière fois où je l’avais vue remontait à trois ou
quatre mois, les congés de Noël, quand j’étais revenu de l’internat, nous
étions en fin mars, au début des congés de Pâques. Elle avait beaucoup changé,
ce n’était plus la même personne mais un spectre. Son regard était délavé, il
semblait avoir perdu ce qu’il y a d’humain dans les yeux.
Ma mère poussa un long soupir, ce qui me fit
revenir à moi. « Mère ! » fis-je en sanglotant ! Elle
répondit : «Oui, cette famine… ! ». Puis elle se reprit et
dit cette « chose-là ».
Ma
mère devrait être réellement bouleversée pour avoir lâché le mot.En
effet, certains mots sont bannis du vocabulaire familial : « Tu
ne diras jamais ceci, mais cela ! »
- Mère,
il y’a pourtant du grain sur le marché !
- Cette chose-là, ce n’est pas une question
de manque, c’est autre chose qui engendre le manque. Il y a toujours du grain
quelque part et qui peut être acheminé là où il faut… c’est qu’on mange et on
n’en a pas assez !… pourquoi cela ? Je
ne saurai y répondre ! tout le monde en souffre !
- Comment ça mère ?
fis-je étonné.
-
Nous sommes tous diminués… Nous souffrons tous, ça se voit plus en cette femme…
parce qu’elle est plus affaiblie !
Ma
mère semblait ramener tous à cette personne, le un du compte…, le reflet
de tous, si j’avais bien compris ma mère ! Oh, non, je ne pouvais pas y
croire… et pourtant ! Je regardai avec plus d’attention tous ceux qui
m’entouraient, que je n’avais pas vu depuis les congés de Noël également. Ils
ne manquaient de rien, mais leur regard était aussi aride dans le fond que
celui de cette dame. Je frémis en y repensant !
Mon père se tenant à quelques pas de nous, écoutait. Il interpella ma mère.
- Dis, femme, combien de mesures de grain il te faut ces jours pour le repas de midi ?
- Une et demi de cette mesure, presque deux ! dit ma mère brandissant le récipient qu elle vient d’utiliser pour servir le grain à la dame qui vient de partir.
- Et avant… avant cette chose-là ?
- Une mesure suffisait ! Ils mangeaient, parlant des enfants et me désignant, et il en restait. Depuis la chose-là, ils sont en sentinelle à la porte de la cuisine bien avant la fin de la cuisson du repas. Il y a trois mois il fallait leur courir après pour les avoir tous ensemble autour du plat et il faut aller au fouet, presque, pour qu’ils se concentrent sur le repas qu’ils prennent.
Mon père se tournant vers moi, dit : « Tu comprends que la famine n’est pas le manque de grain… mais, c’est qu’on mange et on n’en a pas assez… à la longue, c’est le manque!»
Ce que disait ma mère était juste. On mangeait et on en voulait encore pendant cette période. Au début on s’écriait « Nous en voulons encore !» on faisait attention pour ne pas dire « nous ne sommes pas rassasiés ! » Alors notre mère nous disait : « Ramassez ce que vous avez laissé tomber par terre, mangez en, et soyez rassasiés… ! »
Comme on prenait le repas, dans le même plat, à la main assis à même le sol, manger ce qui tombe, c’est aussi manger les miettes que les autres ont laissé tomber, c’est aussi avaler quelques grains de sable avec et on n’aimait pas ça ! Alors on faisait attention pour qu’il n’y ait pas de miettes … puis on attendait avec résignation le prochain repas.
Un jour, jeune adulte, nouvellement sorti du cocon familial, " libre! ", chez des amis, je me suis exclamé suite à un débat sur la nourriture, la suffisance alimentaire, « Qu’est-ce que manger et être rassasié ? ». L'un des amis répondit : « C’est avaler une substance dite nourriture et avoir le ventre plein ! »
- Tout simplement ? dis-je.
- Oui, tout simplement ! rétorqua l’autre.
Pour moi ça ne pouvait pas être si simple que ça ! alors je leur racontai tout le cérémonial, ce qui se fait autour du repas à la maison. Pour commencer le récipient qui sert à prendre le grain est toujours le même, il est toujours placé sur une hauteur. Pour prendre le grain le récipient n’est jamais introduit directement dans le contenant (sac de jute ou jarre), on y met d’abord trois poignées de grain en psalmodiant le nom de Dieu… La même psalmodie est dite au début de toutes les opérations de transformation et cela du décorticage du grain à la prise du repas. Tout cela, afin que le repas rassasie !
Mon interlocuteur me répondit : «C’est très compliqué, le repas chez toi ! Mais la nourriture, c’est moi qui la produis, elle est à moi, ce n’est pas moi qui suis à elle… en revanche, j’en fais ce que je veux ! Pour dire, c’est la nourriture qui dépend de moi et non pas le contraire ! »
« Oui ! », ai-je répondu, tout bas, regardant mon interlocuteur avec admiration et tremblant à la fois de crainte ! Ce « oui » n’a rien d’une approbation totale. Mais, j’aurais dû lui raconter mon expérience de ce qui rassasie, l'histoire de cette année 197., il m’aurait compris ou nous aurions cherché ensemble à comprendre « ce qui rassasie ! » de mon expérience familiale.
Pourquoi
raconter cette expérience alors que la question de la nourriture
pour les hommes est concrètement l’aliment en quantité et en qualité et
pour tous ? En effet, comme dit la mère , la famine, c’est autre
chose que le manque de grain. Aussi la nourriture en qualité et en quantité ne
suffit pas toujours pour rassasier l'homme ! L’on sait que le nouveau
mal de la surproduction est une certaine conduite alimentaire, la boulimie ou
l’anorexie dont les conséquences sur la santé sont fâcheuses à plus ou
moins long terme ! Il ne sera pas excessif de parler de famine dans
l’abondance, lorsque le nombre d’individus touchés par ces maux augmente
d’année en année, insidieusement. Pour l’anorexie 0,5 à 1% des adolescents sont
concernés et 3 à 12% pour la boulimie[1].
L’efficacité des traitements reste bien en deçà de ce qu’on aurait voulu.
Cette
famine dans l’abondance ce sont aussi les maladies nutritionnelles. Cela est
certain, c’est beaucoup, mais est-ce tout ?
Quoi qu'il en soit, il vaut mieux l’abondance de nourriture que le
manque. La surproduction dans de
nombreuses régions du monde montre les efforts de l’homme sur la nature. Mais ce
n’est pas pour autant qu’il a gagné la lutte contre la faim ! Le comportement
alimentaire de l’homme a été étudié en long et en large et de nombreuses
théories sur la régulation de la faim ont été avancées[2]. Mais
comment expliquer une faim collective qui, à plus ou moins long terme, aboutit au
manque de nourriture et/ou à la détérioration de la santé d’un grand
nombre d’individus en même temps ou de façon chronique. L'on sait qu'une
épidémie est une maladie due à un agent infectieux (virus, bactéries, champignons ou parasites) et touche un grand nombre d’individus à la fois et pendant un certain temps, plus ou moins long. Cette maladie est contagieuse par contact de personne à personne ou par l'alimentation. En ce qui concerne la faim collective - dans le manque ou dans l’abondance - qu’elle serait alors l’agent causal? quel est son mode de propagation ? est-il au travers de la qualité moléculaire des composants des aliments ? Qu'est-ce qui peut affecter cette qualité ? comment affecte-t-il le fonctionnement du métabolisme et de l'assimilation ?
"Ce qui rassasie ?" que raconte
Aminta [3] , n’enlève rien à la complexité de l’aliment: sa production, sa
procuration, son ingestion, sa digestion, le métabolisme de ces constituants,
l’assimilation de constituants et métabolites et enfin « être rassasié » qui
fait vivre bien …« Je mange donc je suis ! » Mais qu'est ce que c'est
? on ne peut pas répondre par "on
ne sait pas!" tant que le domaine de l'aliment culturel restera à être
considéré d'un point de vue scientifique. Ce qui suppose que les limites de la
recherche horizontale doivent être repoussées, au service de la recherche
verticale qui en donne les outils par l’instrumentation et la méthodologie.
Toutefois, ce récit, en plus qu’il raconte un mode de
vie, peut donner, d’un point de vue scientifique à alimenter le sujet de la
recherche sur le développement et sur le climat en particulier et peut-être
bien en biochimie de l’alimentation et de la nutrition. L'agent causal de cette faim collective pourrait bien être un rayonnement cosmique original, solaire en particulier. Ailleurs, d'autres rayonnements cosmiques sont peut-être agents causant d'autres types de "faims collectives"dont la conséquence est l'aridité humaine de toutes manières.
Concernant la faim collective de nourriture ou la boulimie collective, certaines populations savaient évaluer la périodicité de sa survenue et s'y préparaient à l'avance sous certains signes qui alertent. Cela était possible compte tenu de la disponibilité alimentaire qui était limitée par les moyens de production et de distribution. De nos jours ces facteurs sont plus ou moins levés. Mais cela n'évite pas où n'évitera pas la survenue de l'agent cosmique (s'il s'agit de celui-là !) et de l'aridité humaine conséquente dont parle Aminta. Et dans la mesure où la boulimie trouve à être assouvie, l'on ne fait pas ou ne fera pas suffisamment attention. Mais qu'est-ce que c'est cette aridité en termes de la biochimie ? D'abord il faut qu'elle soit connue et soit d'intérêt scientifique pour qu'il ait recherche plausible. Le récit d' Aminta, c'est aussi cela, "Repousser les limites de la recherche horizontale en allant glaner dans les relativités culturelles".
[1] Cheftel J.-C .,
Cheftel H. et Besançon P., Introduction à la biochimie et à la technologie
des aliments, volume 2, 6è éd., Lavoisier, 1990.
[2] Jacotot B. , Campillo B . and al, Nutrition
humaine – connaissances et pratiques, Masson, 2003.
[3] Articles , Alimentation - Nutrition, Se nourrir - Être rassasié, Lien n°2, fév. 2004.