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Boursoutma, la plus belle fleur des champs


Boursoutma, la plus belle fleur des champs  - Article "Aliment et développement" de juillet 2018 

Les contes de la mère Iya [1] - Iya et les enfants

Un conte peut être une ressource scientifique et porter loin dans la conduite d’un projet en Recherche et Développement. Pour justifier cette note, nous n’avons pas trouvé mieux qu’une anecdote, un bout des souvenirs d’une amie convaincue de la place des relativités culturelles à l'école donc dans le développement.  

Notre amie disait ceci :  Tout dépend de ce que recherche l’éducateur. Il est possible de trouver un lien entre une leçon du jour et quelque relativité culturelle qu’on maîtrise. Il est aussi possible, de donner le goût de la recherche à ses élèves en les amenant à trouver l'analogie entre quelque portion de la leçon du jour et leurs relativités culturelles dont les contes, légendes et récits qu’ils partageront avec la classe et davantage.

De mon enfance… de ma grand-mère ?… les contes pendant les vacances, en hivernage, de jour comme de nuit m’ont beaucoup marquée ! Depuis peu, j’essaie d’analyser le moindre détail de ces moments exceptionnels que le temps n’a su corrompre dans ma mémoire. Les contes dits de jour, c’était quand tombaient les pluies diluviennes. Chez grand-mère Iya, c’était l’abri idéal contre la pluie battante.    

      - Grand-mère, dis-nous un conte ! 

Grand-mère disait toujours le même avertissement avant ses contes.  

    - Quiconque dit ou écoute des contes le jour prend le risque de s’égarer ! 

     - Nous ne voulons pas nous égarer, nous ne nous égarerons pas, grand-mère ! disait-on en chœur.

Alors, grand’mère rangeait le fuseau et la quenouille dans sa corbeille à coton et commençait  sa narration.

Il était une fois, Boursoutma ! … Raconte-nous Boursoutma, grand’mère ! s’écriait-on. Boursoutma est l’un de ces contes de la mère Iya qui m’a beaucoup marqué, non pas seulement pour quelque moralité, peut-être subjective, qu’il peut dégager,  mais pour l’intérêt scientifique qu’il porte. 

Autrefois vivaient dans un village du Sahel une vieille dame et son fils, dit le conte. Le village qui était aussi la cité royale les avait trouvés un matin de la saison sèche à sa porte. Personne ne savait d’où ils venaient. La vieille dame était sourde, aveugle et muette. L’enfant qu’elle portait au dos n'était qu'un nourrisson de quelques jours seulement. Comme personne ne vint les réclamer, le souverain envoya ses émissaires dans tout le pays du Sahel  et même au-delà de ses frontières, effectuer des recherches. Ses mystérieux hôtes ne sont connus de personne : ils semblent être venus de nulle part. « C’est l’harmattan qui nous les a amenés, le vent du Sahar  ! » dirent les sages du pays. Le village leur donna un nom : "La vieille" pour la mère, appellation qui n’a rien de péjoratif dans le pays. C’est plutôt une marque de respect, la longévité étant une bénédiction ; et le fils porta le nom  de "Le fils de la vieille".

Avec le temps l’on oublia les recherches sur ces mystérieux étrangers.

Le fils devenu grand répondait à tous les critères (qualités et défauts) requis, dans le pays, pour le diriger.

Le roi du pays vint à mourir. Avec lui s’éteignait une dynastie aussi vieille que le monde.

Il fallait un roi au pays, le choix des sages porta sur "Le fils de la vieille". 

Contraint par les sages du pays, le jour vint où le roi, "Le fils de la vieille", décida de prendre femme.

On lui parla de toutes les filles du pays « dignes » de son rang. Le roi ne fit pas de choix. Il se contenta de dire : « Faites les venir toutes. L’épouse du roi, la reine du pays se révélera au roi et à son peuple !»

Ainsi vint le jour où toutes les filles du pays devraient être présentées au roi. De bonne heure, ce jour de gloire pour quelque jeune fille, la reine mère, "La vieille",  en haillons se mit à l’unique entrée de la  cité royale, au bord du fleuve qui l’entoure. Toutes les filles devraient arriver par cette voie. La vieille dame les interpella toutes, l’une après l’autre, au passage. « Bonjour jeune fille, je désire me baigner, veux–tu m’aider ... ? » . Elle recevait la même réponse de toutes : « Je suis pressée, je vais à la conquête de notre roi ! Tu n’es peut-être pas du pays ou tu es sourde ! » Certaines lui disaient même des mots méchants et passaient leur chemin dans de grands éclats de rire.
Longtemps après le passage des filles "nobles", les graines des céréales (blé, mil, riz, sorgho,…) arriva la graine du striga appelée Boursoutma tellement "laide" au regard qu’aucun autre nom ne pouvait lui convenir. Boursoutma salua la vielle dame.

 - Je voudrais me baigner. Vois-tu, mes haillons ne couvrent pas mon dos cagneux. Je voudrais l’avoir propre, pour la fête !

- Je te frotte le dos, puis nous ferons la route ensemble !

Boursoutma aida la vieille dame à se baigner.

- Merci, jeune fille.  Je suis désolée, je ne puis aller avec toi à la fête.. Je suis la mère du roi…

- Mais…,j’ai entendu dire que notre reine mère est d’un âge très avancé… elle n’a jamais parlé à personne… !

-  J’étais sourde, muette et aveugle jusqu’à ce jour ! Sache que le roi mon fils n’épousera ni la plus belle ni la plus laide, ni la plus intelligente ni la plus sotte, ni la plus riche ni la plus pauvre, ni la plus forte ni la plus faible… Il épousera celle qui lui est destinée. La seule personne qui connaît son nom après moi…, toi ! Mon fils, le roi s’appelle … elle murmura à l’oreille de Boursoutma. Celle-ci n’eut pas le temps de dire mot que la vieille dame disparût !

Boursoutma marcha jusqu’au palais sans trop penser au destin qu’elle a peut-être bien rencontré sur son chemin.

Toutes les filles, graines de cultures, les filles des champs, comme on les appelle, étaient présentes. Elles attendaient, anxieuses, depuis des heures, l’épreuve qui ferait reine l’une d’elles.

Peu après l’arrivée de Boursoutma, le premier ministre du roi,  sortit et annonça l’épreuve. Les filles passeraient trois fois devant le souverain. Elles se présenteraient au premier tour, répondraient à la question du roi au second tour, au dernier défilé le roi se prononcerait. Il prendrait pour épouse celle qui saurait lui dire son nom.

Les jeunes filles surprises parlèrent entre elles en ces termes : « Personne ne connaît son nom, il arrêtera son choix sur un autre critère ! »

L’épreuve commença aussitôt. Elles passèrent l’une après l’autre devant le roi.

- Bonjour jeune fille comment t’appelles-tu ?

- Je suis Blé la blonde à la farine blanche ! Je sais prendre la place qui m’est due, avec ou sans levain…

- Je suis Riz, la fine blanche ! je n’ai ni parfum ni saveur particulière, et pourtant je plais...

- Je suis Sorgho, "la pataude"[2] ! Je suis sobre et généreuse, moi seule sais exploiter au mieux ce sol avare, dur, brûlé de  soleil. Ma force, elle se mesure à la meule ou au mortier et au pilon de bois. C’est cette force, toute ma vigueur que je donne à vos paysans, vos guerriers et vos chevaux. Je fais de la bonne bière. Je suis votre servante.

 - Je suis Mil la brune dorée. Mon éclat est celui du jour levant et mon parfum est sans égal ! Le lait n’a de saveur que s’il m’est associé, je fais du bon couscous.

  - Je suis Boursoutma, la petite noiraude, non comestible, la laideur de vos champs. Je désire  être agréable à sa Majesté le roi et à son peuple.

Les jeunes filles repassèrent une seconde fois devant le roi.

 - Je connais ton nom jeune fille, dis-moi le mien !

Toutes répondaient," je ne connais pas le nom de Sa Majesté" .

  - Va, cherche bien,  tu trouveras ! disait le roi.

Toutes repassèrent une troisième fois dans le même ordre que la première et la deuxième fois.

  -  Je connais ton nom jeune fille, dis-moi le mien !

  - Sa Majesté s’appelle le fils de la vieille !

  - Non, jeune fille, j‘ai un nom !

Puis arriva le tour de Boursoutma, la dernière. A son passage les filles pouffèrent de rire et jurèrent de la servir si jamais le roi la choisissait. Personne ne connaissait le nom du roi, Boursoutma non plus, comme elle l’avait dit au second passage. Le roi serait obligé de porter son choix sur d’autres critères et cette jeune fille est la moins nantie de toutes.

 - Je connais ton nom jeune fille, dis-moi le mien !

 - Axandari ! brave des braves, sage entre les sages. Je désire être agréable à Sa Majesté et à son peuple !

Alors le roi leva l’index. Les tambours tonnèrent. L’épouse du roi s’est révélée au roi, le pays en est témoin. Boursoutma est faite reine aussitôt.

Les autres jeunes filles n’étaient pas au bout de leur surprise lorsque les tambours tonnèrent de nouveau. C’était pour annoncer la reine mère, "La vieille". Tous disaient : « J’ai entendu parler de cette personne, mais je ne l’avais jamais vue ! ». Lorsque la reine mère s’avança au milieu de la foule, les jeunes filles reconnurent la vieille dame du bord du fleuve à l’unique entrée de la cité royale. Elle était dans les mêmes haillons. Les jeunes  filles  étaient confuses. 

La reine mère toucha le front de Boursoutma et celle-ci fut changée en une  dame agréable aux yeux et au coeur de tous.

Avant de se retirer, pour toujours, la reine mère prononça une prophétie sur les autres filles, cultures à graines du pays.  « Puisque les autres jeunes filles ont juré, ô reine, elles te sont asservies à jamais !»

C’est depuis ce temps-là que le striga est la belle fleur des champs du Sahel et « parasite » de ses cultures (hélas ! mais que cache un « parasitisme » pour la science ?"

La gent ailée et l’harmattan messagers portèrent loin la nouvelle, plus loin que les cris de joie du peuple et  encore plus loin que les tambours et les flûtes. Le roi, "Le fils de la vieille" s'appelle Axandari et la reine Boursoutma est une dame aimante et aimable.

A la fin de chacun de ses contes, la mère Iya s'excusait toujours en ces  termes : "Si ce n'était Guizo [3], j'aurais dit un mensonge !" et les enfants de rétorquer en chœur,"C'était un mensonge, tout conte est mensonge !" comme pour rassurer et déculpabiliser l’aïeule, elle n'y serait pour rien s'il nous arrivait de mal interpréter le conte. 

Aminta

Manger est un acte capital chez tout être vivant et chez l’homme en particulier. « Je mange, je suis !? » Qu’est-ce que manger ? c’est mâcher, avaler une substance et l’assimiler, peut-on communément y répondre.

Dans de nombreuses cultures du monde, pour ne pas dire toutes, il arrive que l’on ne se contente pas d’assimiler l’aliment substance. L’on « s’assimile », l’on s’identifie à cette substance ou l’on « assimile ou identifie l’autre » à ce qu’il mange.

 «S’assimiler ou assimiler l’autre » à son alimentation rappelle le dicton « Man ist, was man isst » [4] ou l’interrogation « Une calorie n’est-elle pas une calorie ?»  Ces propos qui sont  l’attention portée à la question alimentaire et du développement ne sont pas méchants, ils sont même innocents… mais ce n’est pas pour autant qu’ils soient inoffensifs.

Ces références alimentaires, « Man ist, was man isst" ou « Une calorie n’est-elle pas une calorie ?»   peuvent être source de construction de stéréotypes négatifs. Aussi, l’alimentation peut également être la source des préjugés et stigmatisations créés à tous les niveaux de la société. Ceux-ci font obstacle au rapprochement entre des nations, des peuples, voire des personnes. Le monde en connaît les conséquences depuis toujours: des exemples ayant marqué son histoire sont légion ! Ces références alimentaires sont un frein au développement, un frein à la vie tout simplement. En témoignent les difficultés socio-économiques, voire politiques, que de nouveaux modes d’alimentation, pour beaucoup, comme la question de sources de protéines par exemple font poindre à l’horizon d’un avenir plus ou moins proche.

Par ailleurs, « Man ist, was man isst » ou « Une calorie n’est-elle pas une calorie ? » ont une réelle portée scientifique.

« Man ist, was man isst », en effet, savoir ce que l’on mange n’est-il pas très important en ces temps de maladies nutritionnelles ? Rien qu'en ce qui concerne les protéines, l’on sait que dans la nature il y a au moins une cinquantaine d’acides aminés. Si l'on ne peut penser le code génétique qu’immuable, l’on ne sait pas assez sur toutes les modifications de nutriments à la transformation technologique, tout comme in vivo, et leur devenir dans le métabolisme. Qu'en serait-il de nutriments inhabituels d'une alimentation inhabituelle ? 

Quant à la question « Une calorie n’est-elle pas une calorie ? », elle n’a pas d’autre réponse que la suivante : « Une calorie est une calorie ! »  Au stade actuel des connaissances scientifiques sur ce sujet, d’autres questions peuvent s’y ajouter: « La calorie serait-elle graduelle en qualité (nutrition et assimilation) ? Dans ce cas  quelle représentation pourrait-on avoir des niveaux si ceux-là existaient ? Seraient-ils les mêmes d’un aliment à l'autre ou, pour un type de nutriment, d’une source à l'autre ? On ne saurait y répondre qu'en refléchissant à des relativités. Aussi, peut-on se référer à l’atome, par exemple, avec son noyau et ses couches électroniques qui diffèrent d’un élément chimique (constituant de la matière) à l'autre ? Si ces niveaux existaient, il va falloir les représenter. Aussi la « calorie » (l’énergie libérée par la dégradation d’un acide aminé X aurait-elle les mêmes niveaux « qualitatifs » quelle que soit sa source animale ou végétale ou encore micro-organique ? et au sein d’une même source d’un groupe à l’autre (l’exemple de la viande bovine et de l’homologation de la consommation d'insectes) ? On voit bien qu’en entrant dans ces détails, on retient son souffle. 

Sans l’apport de la science, les jalons des préjugés et stigmatisations seraient ainsi posés.

La peur de blesser l’autre, de l’offrir et de s’offrir en pâture à quelque idéologie en quête de matière pour alimenter un penchant niant l’autre, fait de ces propos, «Man ist, was man isst » et « une calorie n’est-elle pas une calorie ? », des difficultés que peut rencontrer le développement. Doivent-ils être censurés ? La réponse est non ! ces difficultés ne doivent pas décourager la recherche loyale, il faut y aller confiant en l’homme : tout ce qui peut blesser l’humain peut être relevé et le sera. Les moyens existent pour répondre aux expressions qui stéréotypent et dénigrent l’homme. Ils sont les méthodes pédagogiques, scientifiques et l’instrumentation, bien entendu avec le droit, la justice et leur veille inlassablement.  

«Man ist, was man isst » et « une calorie n’est-elle pas une calorie ? », les contes et fables de tous les pays ne manquent pas d’éloquence à ce sujet et leur moralité est une claque à notre égocentrisme. Le « Héron » de la Fontaine du livre scolaire de tous les écoliers francophones en est une illustration. De nos jours, l’essor de l’aquaculture n’est plus à démonter. Il est tout à fait possible de faire multiplier les carpes dans les rivières, lacs et fleuves par la sélection variétale et l'alimentation. De même, le goujon peut ne plus être la "petite frétille" (la manipulation génétique, l’amélioration des espèces et l'alimentation, peut lui donner taille et poids de carpe ou de brochet).  Et même  une "petite frétille", le goujon pourrait être préférable à la carpe pour diverses raisons : ses acides gras essentiels ? ses protéines riches en quelque acide aminé indispensable ?  ou encore  parce qu’il n'est pas sujet à quelque infection virale ou parasitaire que peut avoir la carpe, causes de nuisance à la digestion du Héron ? Quoi qu’il en soit, la science est à l’avant-garde de la lutte contre les préjugés, la science est le cœur du développement, non seulement pour des carpes saines et pour une meilleure consommation de la carpe et du goujon.

Dire les contes et fables anciens est non seulement pour leur moralité (même subjective), mais aussi pour quelque intérêt scientifique qu’ils peuvent porter. Et ne l’oublions pas, si la science produit les outils du développement, le droit, la justice et le devoir (la conscience de soi) le soutiennent et le véhiculent afin que le fruit qu’il porte nourrisse et fasse vivre l’homme, homme partout. 

Aussi,  «Boursoutma, la plus belle fleur des champs » des contes de la mère Iya, ici rapporté, illustre, le dicton, « Man ist, was man isst » ou « Une calorie n’est-elle pas une calorie ? ». La moralité qui s’y dégage, au premier regard, est "l'humilité". Ce sentiment est d'ailleurs subjectif lorsqu'il n'est pas affilié à la loyauté. Aussi, le conte suscite un intérêt scientifique et socio-économique pour sa place dans le développement. La mère Iya ne s'excusait-elle pas à la fin de ses contes ? Le "mensonge" qu'est un conte, est un défi et comme tel il doit être relevé. 

À suivre  


Notes

[1] - Les illustrations de cette série de contes, "Les contes  de la mère Iya"  sont de Oussou. C. Il les a offertes gracieusement, en 2003, pour  la revue Lien. Pour des raisons techniques, elles n''ont pas été incorporées dans l'article " " de Lien n° 01, décembre 2003. Respectons la propriété intellectuelle et encourageons la créativité.  

[2] - Sorgho la "pataude":  Des céréales, le sorgho est la moins prisée par les populations urbaines de la région, le Sahel, quand elles ont le choix. C'est à la science d'en trouver les causes et d'y remédier.

[3] - Guizo: l'esprit malin des contes d'Iya 

[4]« Man ist, was man isst » - On est ce qu'on mange