L'aliment dans l'art  - Nature morte  -  Jan Davidsz de Heem et Paul Gauguin  - Article 1

L’aliment est un sujet peu prisé des artistes peintres. S’il figure dans de nombreuses représentations, il  n’y tient qu’une place de second ordre.

Nature morte, ainsi est dite toute représentation d'objets inanimés dont l’aliment. Ce genre pictural est défini comme étant un  moyen pour l'artiste de susciter l'émotion devant la beauté des objets et de leur assemblage. On peut dire plus ! L’apparition de l'expression Nature morte dans la langue française date de 1752. Elle n’est pas du goût de tout le monde. Ainsi, dans  son Salon de 1759, Diderot, ami du peintre Chardin, parle encore de «petits tableaux de fruits» et, dans celui de 1763, de «plusieurs petits tableaux de Chardin  représentant presque tous des fruits avec les accessoires d'un repas ». Et pourtant, le philosophe ne pouvait ignorer l’expression Nature morte donnée à  ce genre artistique pourquoi ne s’en sert-il pas ? Le père de l’Encyclopédie a-t-il choisi de l’ignorer ? Quoique, enthousiaste, il louera les œuvres du peintre en ces termes : «le secret de sauver par le talent le dégoût de certaines natures». Rien d’étonnant à la déclaration de Diderot : cette expression, Nature morte, ne semble pas répondre  aux objectifs du philosophe qui sont d’apprendre à ses contemporains d’exercer leur esprit critique en s’aidant de l’expérience : « La plus haute efficacité de l'esprit est d'éveiller l'esprit», a-t-il inspiré à Goethe. Alors que Nature morte  c’est tout s’arrête là : « Et circulez ! » peut-on rajouter.

Concernant l’aliment l’expression Nature morte pour ce genre pictural est troublante : l’aliment est-il un objet ? Oui, il l’est : il se présente comme tel à la vue, à l’esprit et affecte les sens. Non, l’aliment n’est pas un objet : certes, il est inerte mais il peut être vivant par la calorie. Peut-on appeler Nature morte ce qui est vivant ou donne vie car substantiel. Aussi de nombreux peintres tout en respectant l’expression, Nature morte, font ressortir ce qu’ils y mettent. Pour ce genre pictural, les deux tableaux suivants ont retenu notre attention:

- Nature morte au dessert du peintre hollandais de Heem (Jan Davidsz) ;

Nature morte à l’éventail du peintre français Gauguin (Paul)

Nature morte au dessert

Nature morte au dessert - Jan Davidsz de Heem
 (1606-1684) -Musée du Louvre, Paris
  

Ce tableau montre les restes d'un repas. Nature morte, en effet tout pouvait s’arrêter là pour cette représentation. Mais au dessert qui s’y ajoute force un peu le regard puis il y a la serviette blanche et les couleurs des fruits qui retiennent l’attention. Ces fruits sont beaux. En s’y attardant on découvre l’équilibre précaire des assiettes ensuite le fond sombre du tableau. Aussi Nature morte est plus qu’une représentation des restes d’un dîner copieux, on y voit  l’expression de l’aliment nourrissant et préjudiciable lorsque l’on en abuse. Nature morte, c’est le fond du tableau, les conséquences de l’abus, plutôt que l’aliment.

Nature morte à l’éventail

 Nature morte à l’éventail - Paul Gauguin                              (1848 - 1903) - Musée d'Orsay, Paris

Nature morte à l’éventail montre une table à l'intérieur d'une maison, avec des fruits et divers objets dessus . A l'arrière plan une fenêtre est ouverte sur un ciel aux nuages hauts et cotonneux où se dessine dans une forme d'éventail, une vision : un jardin, des arbres en fleurs, une abeille butine...

Dans ce tableau, Nature morte, c’est bien de fruits qu’il s’agit. Une fois cueilli, coupé de l’arbre le fruit devient une chose morte tout comme la bougie aux mèches éteintes qu’importe leur couleur. Contrairement au tableau précédent, celui-ci semble ne pas prendre en compte la dimension substantielle de l’aliment. Ces fruits qui semblent  fraîchement coupés , en témoigne le couteau à coté et les feuilles qui les accompagnent, peuvent être bons à la consommation. Ceux du plateau sont de bonne couleurs et formes. Toutefois, l’expression Nature morte, leur ôte leur substantialité, leur quintessence à les rendre abjects. 

Paul Cézanne, parlant de l’art, du dessin, déclarait : « L’art est une harmonie parallèle à la nature (…) la nature n’est pas en surface ; elle est en profondeur. Les couleurs sont l’expression, à cette surface, de cette profondeur… ». Cependant, l’œuvre de Gauguin peut aussi vouloir  dire que le mot lancé  est aussi  l’expression que l’on veut donner à cette nature. Aussi la nature n’est pas plus en surface  qu’en profondeur elle est le dit,  le mot. 


Références
Hodge N. et Anson L., "Jan Davidsz de Heem" dans "L'Art de A à Z", éd. PML, 1996, 400 pages
Ergmann R., "GAUGUIN Paul", dans " Chefs-d'oeuvre de la peinture française" éd. de l'Olympe, 1996, 247 pages
Lien , "L'aliment dans l'art; " Lien
 , 2005, n°5, p 28-29