Raconte-moi le marché ! Article aliment-et-developpement.com - Juillet 2020
Compte tenu des connaissances que l’on a des modes de propagation et de transmission du
virus de la Covid-191, l’on peut
craindre pour la fréquentation des marchés en général et en particulier des marchés
lieux ouverts, les marchés en plein air… et pourtant ! Les hommes ont-ils été plus malades en
fréquentant régulièrement ces marchés ? Ou alors, ces marchés, pour
protéger leur monde contre le visible et l’invisible, auraient-ils leurs
secrets, leurs armes ? Sans doute que oui ! c’est
une opinion que A&D se donne d'exploiter dans cet article.
Que peut-on apprendre de ces marchés et qui puisse pencher en faveur de
l’optimisme dans le combat contre la Covid-19 et autres de même nature ? Pour A&D, il faut porter l’attention sur
ce que l’on sait, l’on voit ou entend du marché, lieu de rassemblements humains
souvent denses.
A&D explore ces marchés au travers des récits d'Aminta qui parlent du marché traditionnel et rural d’un lieu du Sahel de l'Ouest africain.
« Du marché, contrairement à mes aînées, je
m’y rendais que pour acheter. Aller au marché pour vendre, mes parents s’y
étaient opposés, ma demande rencontrait toujours un non –recevoir. Les jours où
il n’y avait pas classe, ma mère m’occupait aux travaux ménagers, à ses récits et mon père à mes leçons et à la lecture. Des livres, il y en avait à la maison, apportés par deux ou trois
générations successives, surtout par le père et les aînés. Les autres étaient
en alphabet que je ne savais pas déchiffrer ou en langues que je ne savais pas.
Un jour des vacances de noël, ma mère céda à ma
demande et me fit des beignets. Je me rendis au marché accompagnée de mon jeune
frère, on ne se séparait jamais. Notre mère nous regarda partir avec sourire,
comme pour dire Allez-y, vous saurez ce qu’est le marché ! ,
c’est-à-dire ses difficultés. Une main à l’assiette des beignets sur la tête et
l’autre tenant la main du petit frère, nous voilà en route pour le marché et
c’était le jour du marché.
Avant de rallier la file se rendant au marché, je
fis au petit frère ces recommandations que j’avais souvent entendues : Ne frôle personne et, avec politesse, ne te laisse frôler par personne et surtout qu’on ne
te touche pas, ça donne la
fièvre !. Pour mes beignets, je savais ceci : On ne touche pas
aux beignets si ce n’est que pour les prendre, ça peut les rendre gluants et invendables ! Je me rappelai qu'il fallait aussi de bons mots pour reprendre le client réfractaire... cette pensée me donna des palpitations.
À peine avions-nous rallié la file matinale que commencèrent
les premières difficultés ! Bousculée
par la charge d’un cycliste, je perdis deux beignets, mon frère qui voulut les
ramassés, fut heurté par le cycliste suivant.
Pour tenir en équilibre l’assiette des beignets sur la tête et assurer
la sécurité de mon jeune frère, nous trouvâmes une solution : Tu me
tiens par la robe et tu marches droit, et regarde devant toi !, lui
dis-je.
La file était épaisse et lourdement chargée.
Elle semblait suivre rigoureusement, sans débordement, la ligne des robustes troncs
de caillecédrat. Allaient-là, hommes, femmes
et gamins de mon âge ou de celui du petit frère, à pied, marchandises sur la tête ou à dos d’âne
ou encore à bicyclette. Les montures chargées de tous les côtés de sacs de produits
agricoles ou de la volaille avançaient difficilement. À ceux-là s’ajoutaient
des cordées, d’un à trois moutons ou chèvres qui tentaient de s’échapper, tirées
par des gamins.
Cette file pour le marché, la première de la
journée, est de ceux qui y vont pour
vendre avant tout, les achats dépendront des ventes. Les récoltes rentrées, la
saison des pluies a été prodigieuse, ni inondation ni sécheresse et ni sauterelles
et criquets avant la moisson. Le besoin d’argent est pressant en cette période
de l‘année : les festivités annuelles de fin de la moisson ont eu lieu depuis
peu ou auront lieu très prochainement, l’on a dépensé ou l’on aura à le faire.
Aussi, le marché redevient le centre d’intérêt des villages : vendre les
produits agricoles ou des métiers de l’artisanat, faire des rencontres et
éventuellement acheter. Cette file n’est
pas acheteuse de beignets : rien de surprenant à cela n'’ayant pas encore vendu et pressée d’aller installer les
étals, la file ne pouvait s’intéresser à nos beignets ! Aussi, nous n’avions
rien vendu dans la file et cheminâmes avec elle, jusqu'au marché. L’entrée, comme une
embouchure, recevait la masse humaine de la file. Celle-là se divisait aussitôt en de nombreux bras allant
les uns à droite, les autres à gauche, d’autres encore droit devant eux. Enfin chacun
regagnait l’emplacement réservé à la catégorie de sa marchandise, de son
village ou de son quartier. Pour la nôtre, les beignets, c’était à l’ombre d’un
de trois ou quatre arbres épineux de la place. Arrivés, nous étions surpris de ne
trouver que le groupe des nouveaux circoncis, un peu à l’écart, sous leur tente de branchages recouverts de couvertures de cotonnade. Personne
ne peut les approcher dans un rayon de 3 à 5 m de la tente. Personne ne peut les
voir, leurs encadreurs y veillent. Le marché les entend ou les écoute jouer en
cadence de leurs instruments et chanter leur initiation. L’instrument est formé
de deux pièces de disques de calebasse enfilés dans un manche en bois terminant
en crochet. En agitant l’instrument de haut en bas, ils font entrechoquer les deux disques, donnant ainsi
le son en harmonie avec les chants. La tente est du décor des lieux pendant la
saison froide. Les occupants viendraient de quelque lieu d’initiation sis dans un
lieu peu fréquenté de la brousse.
Les vendeuses, filles et femmes âgées, de notre
quartier et environnants n’étaient pas encore là. Nous prîmes place. Pendant
que je nous choisissais pour assises des pierres confortables disposées là, le
petit frère m’interpella : Tiens, les voici, elles sont-là !.
Je retournai et aperçus, en mouvement déambulant dans la file, calebasses de fourra2,
assiettes de beignets, de galettes ou de gâteaux de mieleries et
sucreries de sésame, de farine de mil ou de sorgho ou encore de blé, rappelant
quelques confiseries des bords de la méditerranée. Tout comme nous, à l’entrée du marché, elles
se dirigèrent aux épineux, leur lieu habituel de vente. Aux
salutations, suivirent l’étonnement puis des questions. Nous répondîmes avec
bienveillance : c'est les congés, nous avons voulu être avec vous ! .
Alors que certaines revendiquaient leurs places ou leurs assises que nous
avions prises, d’autres exprimaient leur joie de nous avoir. Celles-là nous
aidèrent à nous installer près d’elles. C’était le second incident du matin, la
dispute des places et assises…mais nous voilà installés pour vendre nos
beignets.
À ces heures, le début de la deuxième moitié de
la matinée, la file à l’entrée du marché était devenue moins épaisse, plus
fluide, arrivaient ceux qui vont au marché que pour acheter : les
ménagères, calebasse, panier ou sac à la main, venues faire le marché de la popote et à pied; des hommes à dos d’âne ou à bicyclette, ils n'ont pas de charge, ça sera
pour le retour.
Peu avant le milieu du jour, arrivaient ceux qui
vont au marché, mais ne vendent ni produits de la terre ni les articles
des métiers ou tout autre ouvrage de la main des hommes. Plusieurs signes les
distinguent. Certains sont à cheval, monture couverte d’harnais de cuir richement cousu, d’autres sont à
dos d’âne ou à pied, gourdin ou bâton ou encore pioche aux épaules. Très souvent, les hommes porte à
la ceinture une arme de parade : coupe-coupe3 et couteaux aux fourreaux de cuir
savamment travaillés. Quelques femmes et jeunes filles chamarrée de tenues de
fête spécifiques à leur clan ou classe sociale, calebasse à la main ou panier sur la tête vont là. Pour raison de sécurité 4, elles profitent du jour de marché pour voyager d'un point à l'autre de la région. Au marché, elles peuvent y rencontrer des gens de leur lieu de destination et faire route avec eux. Ce monde
achètera sans doute du tabac ou de la noix de cola et peut-être bien des
beignets ou des galettes pour le retour ou poursuivre un voyage.
Cette troisième file, fluide, comprend aussi des
gamins disciples de foyers coraniques locaux ou en pérégriné, le marché est une opportunité pour se déplacer en sécurité.
La file compte aussi ces hommes se déplaçant bâton aux épaules. Ceux-là vont au marché du (de, au) bétail. On les appelle les
intermédiaires de ce marché. Leur rôle est d’assister vendeurs et acheteurs
venus souvent de loin et de se porter témoin des ventes. Ainsi ils sont garants
de la sécurité des hommes et des biens après-vente ou achat. Ils sont
garants, en cas de fuite de l’animal acheté. Ils hébergent dans leur famille
les vendeurs venus souvent de très loin. Connaisseurs du pays, ils prodiguent
conseils et recommandations aux vendeurs en transit pour des régions plus au
sud, la lisière de la forêt tropicale. Ces intermédiaires ont des
correspondants tout au long de cet itinéraire établi depuis plusieurs siècles :
la famille installée et ses alliées, les éleveurs nomades, les marchands
ambulants ou les chasseurs. Toute personne parcourant la brousse ne manquerait
pas de signaler un animal en fuite. C’est aussi vers leur quartier ou leur maison,
partout dans la région, que se dirigent ou sont dirigés les étrangers, en
transit ou pas… bref toutes les personnes en difficulté dont celles avec leur
propre communauté. Elles y trouvent soins, et/ou du travail, peuvent exercer
leur métier quand elles en avaient ou en apprendre un. Les faibles et affaiblis
sont pris en charge par la maison d’accueil. Le bien vivre ensemble est régi
par le respect de la Loi des monothéismes. Quant à l’allégeance ou le respect aux souverains
locaux, ils sont faits de loyauté, selon cette même Loi. On peut dire de ces
lieux d’accueil au Sahel, Terre d’immigration, Terre d’asile, Terre
d’exil et Terre de transit !
À la première moitié du jour, le marché bat son
plein : vendeurs, acheteurs, intermédiaires, paradeurs ou baladeurs entrent
en transaction.
Pour nous, nous n’avions pas vendu de beignets
dans la première file. La seconde file, venue nous trouver sur la place du marché,
ne nous a rien acheté, mais nos voisines vendaient. Alors je demandai à une
cousine : Pourquoi nous ne vendons pas ? elle répondit
en souriant, c'est nos clients , levez-vous, allez de hangar en
hangar, de groupement en groupement peut-être qu’ils ont eu le
marché ! 5 ils
achèteront pour se restaurer à cette heure-ci. Comme quoi, il faut aller au marché quand il ne
vient pas à vous ! En effet, Je remarquai que celles qui vendaient les
beignets et galettes étaient parties de la place des épineux.
Nous avions fait comme la cousine nous avait
conseillés. Il faisait chaud, quelques personnes nous achetèrent nos beignets.
Je compris pourquoi nos camarades étaient parties des épineux : c’est à cause de la chaleur et les gens préfèrent
attendre sous leur hangar que leurs viennent les vendeurs me fis-je la remarque. Enfin, pour
nous, le marché était là , nous vendions, mais ce n’était pas pour longtemps ! Présentant nos beignets, à deux ou
trois hangars plus loin , nous n’avons plus vendu mais avions reçu des
compliments : vos beignets sont bien faits… nous venons juste d’en prendre
à vos camarades ! disaient les
occupants. Inutile de continuer dans la
même direction. Nous primes la direction de la halle du marché, la grande
maison blanche, elle abritait la boucherie. Là sont également les vendeurs des produits des métiers, des ouvrages
religieux ou didactiques des foyers coraniques (La vente des livres de
l’école moderne viendra plus tard.
Ceux-là étaient fournis). Dans la halle
et les hangars autour vendaient des
produits importés (pièces
d’argent des anciennes monnaies, verroterie, pacotilles…) les hommes du quartier des intermédiaires du marché du bétail. Mais du côté de la halle
nous avions peu de chance de vendre nos beignets. Ces hommes avaient sans doute pris le petit déjeuner avec des beignets ou des galettes et rarement ils se restauraient au marché, ils avaient dans leurs gourdes de l'eau et du fourra au lait. De
plus nous venions de croiser nos collègues qui en revenaient. Nous changeâmes
de direction et nous voilà au cœur du marché, où trônaient les étals de la grand-mère
Afiroua, marchande d’épices et d'aromates, de parfums, d’encens ou de composants des garnitures
de grillades. Les épices et aromates des étals
méditerranéens ou leurs variétés
tropicales y étaient représentés.
Nous
avions peu vendu, nous retournâmes à la place des épineux auprès de la cousine, pour nous
restaurer. Ayant récupéré un peu de force, le soleil était presque au trois quart de sa
course la cousine nous encouragea à
repartir : voyez les gens plient bagages pour rentrer, ils
prendront pour ceux rester à la maison quelque friandises, les fruits du
marché , peut-être des beignets . Nous refîmes les parcours du matin.
En effet, les gens s’apprêtaient à rentrer. Nous vendîmes la moitié des
beignets, mais le marché se dépeuplait rapidement. Que faire de l’invendu ?
Je ne voudrais pas décevoir notre mère, de plus il faut qu’elle entre dans ses
frais : n’avais-je pas insisté pour cette aventure ? Pour l’instant, il faut tout écouler, il faut brader, pendant qu’il y a encore du monde sur les
lieux. Les beignets qui étaient à deux unités pour 5 Frs, je les proposai à
trois pour la même pièce, puis à quatre.
Nous en vendîmes, mais il en restait encore que nous avions distribués à ceux qui
en avaient besoin. L’assiette était bien libérée, vidée, je la tins d’une main
et de l’autre repris la main du petit frère.
Je serais soulagée si le compte y était. La recette dépassait à peine la moitié de ce qu’elle devrait être si j'avais tout vendu et au prix coûtant ! Elle ne donnait même pas à notre mère d’entrer dans ses frais.
Ces frais, je les savais, puisque j’avais effectué les achats de la confection des beignets. Demander de l’argent à notre père pour compléter la recette ? Mais non, l’idée n’était pas bonne, notre mère le saura ! Le petit frère me vint en aide :
- Tiens, M., m’interpella-t-il, j’ai ramassé des pièces .
- Combien c’est ?
Je vois ! me disant en aparté : le petit frère semblait avoir respecté à la lettre ce que je lui disais le matin dans la file, Tu me tiens par la robe et tu marches droit et regarde devant toi!
Tant de pièces ramassées me laissa perplexe. Il me paraissait impossible même en marchant les yeux fixés sur les bouts de ses chaussures ! Je m’apprêtais à lui poser quelque question désobligeante voire même accablante quand il m'interpella à nouveau: Regarde là, devant toi… à tes pieds… le pied droit !... une pièce ! Il me montra encore une autre pièce après quelques pas effectués vers la sortie du marché…
- Laisse ça... c’est bon, partons, le compte y est pour les frais ! dis-je. Les gens en se levant, pressés de partir, ont dû perdre ces pièces... ou elles sont tombées d'une poche trouée.
-Pour le bénéfice on pourrait lui donner une partie de notre argent de poche ! dit-il.
Rarement nos parents nous donnaient de l’argent. Les pièces de nos boites de Nescafé et de Nescao venaient surtout des étrennes des grandes fêtes religieuses et du nouvel an. Des aînés en visite à la maison nous donnaient toujours une pièce. Compléter la recette avec nos économies n’était pas non plus une bonne idée. Que dirions-nous quand elle se rendra compte que nos boîtes sont vides alors que c’est les congés ? Nous ne pourrions pas dire les avoir dépensées à l‘école.
- Disons que nous avons vendu, le plus souvent, pour trois à 5 frs et même quatre et comme il en restait nous avons donné !
C’est ce que nous fîmes en rentrant. Cette journée m’a marquée. J’appris ce qu’est vendre au marché. En y repensant, beaucoup plus tard, je fis : Ainsi donc, c’était ma leçon de marketing, disons son essence même: savoir pour agir ! .
Si j’avais trouvé une explication à nos méventes, je voulus savoir davantage sur le marché pour tout ce qui m’avait paru étrange que j’appelle les insolites. Ainsi, dès le lendemain j’allai trouver une parente qui a beaucoup fréquenté les marchés, elle n’y allait plus depuis des années en raison de son grand âge ! Après lui avoir raconté notre marché et souligné les insolites, elle me raconta le marché, le marché au Sahel, le marché du lieu où elle est née et a vécu, le marché de son temps !
Beaucoup plus tard, son récit me donnera d’écrire, RACONTE-MOI LE MARCHÉ 6, le texte ci-dessous.»
[Les termes du marché d’usage en Afrique Sahélienne ont beaucoup retenu notre attention. Par exemple, « courtiser le marché » et « manger le marché » les deux termes les plus courants pour désigner « Faire son marché » c’est-à-dire acheter, vendre ou se mêler à la foule sans aucun but ni objectif que d’échanger avec l’ensemble présent. Ces termes ne sont pas synonymes dans le fond. Au delà de la sémantique linguistique, ils interpellent sur de nombreuses questions dont celles des rapports entre les hommes et par là même celle du développement économique. Aussi, « Autour de l’aliment », c’est le poids du mot, une donnée du langage. « Courtiser le marché » fait l’objet de cet article.
L’endroit le plus mystérieux en Afrique Sahélienne païenne et rurale, c’est le marché, lieu des transactions. Elles s’y tiennent tous les trois jours dans la plupart des régions. Les maisons sont vides de leurs habitants ce jour-là ! Les champs, le bois, les abords des réserves d’eau sont désertés ; les pierres de la meule, le pilon et le mortier aussi se reposent aux heures du marché ! Autrement dit, personne ne travaille ce jour-là. Les tâches les plus urgentes sont exécutées la veille ou tôt le matin. On se dépêche pour « Avoir le marché » c’est à dire être sur les lieux au moment où le marché bat son plein, entre la deuxième moitié de la matinée et la première de l’après-midi. À ces heures-là, tout l’univers palpite au top, à la mesure des flammes déferlantes du soleil sur la terre. Sauf cas de force majeure tout le monde sera au marché, toute transaction, quelle que soit sa nature, doit se faire sur le lieu marché. Si l’on y va pour échanger, ce n’est pas toujours pour le troc ou pour vendre et/ou acheter les ouvrages des mains de l’homme. On se rend au marché pour la séduire, la courtiser7 , l’avoir ! À cet effet l’on met toutes les chances de son côté ! Le marché, lieu de transactions, toute la création s’y donne rendez-vous. L’homme, le divin, l’animal, le végétal et le minéral s’y tiennent ! Tous semblables, à l’apparence humaine. Dans cette foule d’individus, si l’homme recherche en général la bienveillance de l’homme et des autres pour une vie paisible, il arrive aussi que certains courtisent le marché en quête de quelque disposition...
Pour ceux venus vendre ou acheter les ouvrages de la main de l’homme, le prix est selon le besoin du vendeur et/ou selon les moyens de l’acheteur d’où le prodigieux marchandage.
- Bonjour, combien coûte cet article ?
- Bonjour, ça coûte tant… !
- Al barca 8 ! rétorque l’acheteur lorsque le prix n’est pas à sa portée.
- Dis alors ton prix ! reprend le vendeur
- Je le prends pour tant… !
L’acheteur dit le prix à sa portée.
- Al barca ! fait le vendeur avant de fixer le prix définitif qu’il justifiera.
Les deux finiront par s’entendre sur un prix qui n’a rien de complaisant ou d’un profit mais correspond aux moyens de l’un et/ou au besoin de l’autre. La création en est témoin sous l’œil implacable du créateur ! On ne sait qui est qui ! Vendeur et acheteur se sépareront en se congratulant. Le vendeur souhaitera à l’acheteur tout ce qu’il attend de sa nouvelle acquisition.
Pour ceux qui ne vendent ni n’achètent l’ouvrage de la main de l’homme, ceux venus séduire le marché, en quête de quelque disposition pour bienveillance, peut-être bien qu’ils l’auraient quand même ils resteraient assis à l’ombre du baobab ou sous le hangar du lieu marché. Ne serait-elle pas, dans une perception insolite de quelque organe de sens ? une vision fulgurante, un son inhabituel, un frisson… Il se peut aussi qu’elle soit dans une salutation échangée. Elle peut être aussi dans une calebasse d’eau, de lait, de la bière ou du lait de mil, une noix de cola, une pincée de tabac offerte à et/ou par un inconnu ! c’est peut-être bien « elle » le marché, la « séduite !»… On peut même se laisser aller à la somnolence quand on est homme ayant fait ses deux fois trente-trois ans au moins, peut-être bien que ce répit est le moment qu’ « elle » attend pour se laisser séduire dans un songe éclair… Aussi, celui qui est sans argent achète ce qui ne lui est pas vendu pour de l’argent. La pondération et la bienveillance en toute chose en sont les règles. Le marché est aussi le lieu du culte du Très Haut, le Créateur de toute chose ! C’est sur la place du marché que les souverains des lieux offrent chaque année, à la fin des moissons, les offrandes communautaires. Chaque souverain sacrifie un ou plusieurs bœufs sans défaut selon la richesse de son parc. Au cours de cette cérémonie, le sacrificateur, responsable du culte du Très Haut, le célèbre dans un long discours qui peut durer des heures entières, selon son érudition, où sont énumérés les hauts faits de son panthéon. aux sons des tam-tams Les fêtes communautaires sont rares mais toutes sont portées un jour de marché sur la place des transactions au vu et au su de toute la création, sous l’œil implacable du Très Haut, le Créateur de toute chose.
Lorsque l’univers redevient tiède, quand les langues de feu du soleil s’amenuisent, le début de la deuxième moitié de l’après-midi, le marché commence à se dépeupler. Ceux qui cherchent désespérément le marché pour quelque disposition qui ne soit pas du ressort de ce que cautionne la création du jour tarderont discrètement sur les lieux jusqu’au coucher du soleil. Il sera là, ou sur le chemin crépusculaire du retour à la maison. À ces moments de la journée, il est tout autre le marché : ce n’est plus lui qui veut être séduit, mais il est séducteur : la courtisane. Aussi, « elle », nous appellerons ce marché-là. .« Elle » se présenterait de toute manière à ceux-là qui l’ont cherchée avant qu’ils regagnent le logis et supputer leur marchandage. « Elle » offrirait ses charmes, ses dispositions… au prix vie ! Aussi, les hommes de « Le Marché !!! »9 la fustigent : quiconque est séduit par « elle », disent-ils, n’a pas la vie éternelle. Aussi l’on se dépêche pour rentrer au logis avant le coucher du soleil, éviter de toute manière les rayons du soleil rougeoyant et pas un ne manquera à la quatrième prière un jour de marché.
Bref, pour le marché sahélien, une journée de marché s’achève. Elle peut être dite avec les mots de Hölderlin :
« [… ] Satt gehn heim von Freuden des Tags zu ruhen die Menschen
Und Gewinn und Verlust wäget ein sinniges Haupt
Wohlzufrieden zu Haus; leer steht von Trauben und Blumen,
Und von Werken der Hand ruht der geschäftige Markt …
[…] Rassasiés des joies du jour, les hommes rentrent au logis
et quelque tête prudente suppute ses gains et ses pertes
dans la paix du foyer ; dépouillé de grappes et de. fleurs
et des ouvrages de la main de l'homme, le marché affairé s'en dort … »
Pour la Science de l’aliment, qu’est-ce que l’aliment dans ce temple, le marché, où la création se donne rendez-vous ? « Raconte-moi le marché ! » pose la question de l’aliment dans une perspective biologique et sociale. Il ne s’agit pas là d’anthropologie qui étudie les êtres et leur alimentation dans la même perspective, mais de la Science de l’aliment qui doit donner à l’humanité la réponse rationnelle à la question posée: « se nourrir et être rassasié ? ». Pour mieux servir l’homme, la Science de l’aliment n’a-t-elle pas alors pour devoir et droit de considérer les relativités culturelles quand l’aliment en est assurément le centre ?
« Raconte-moi le marché » dit aussi la similitude des cultures. Pour qui connaît ce Sahel et qui a lu les Métamorphoses d’Ovide, il y a de quoi sourire : la culture est sans frontière.]
Le récit d’Aminta interpelle sur divers aspects de la question de l’aliment et du développement. La première partie est de l’économie, il s’agit de vendre. Le marché relaté est bien l’essence du marketing « Savoir pour agir!», qui au reste est transposable à toute entreprise.
Cette première partie soulève la question du travail des enfants. On n’y pense pas souvent, mais le marché est un travail, c'est du travail. L’expérience d’Aminta montre combien le marché peut être durement éprouvant pour les enfants. Aux conditions ambulatoires pour vendre, il faut ajouter l’exigence stressante de la rentabilité. Ceux dans le besoin de vendre pour rapporter l’argent indispensable à la famille pourraient ne pas être à l’abri des affres de la société. Si l’enfant doit être en sécurité pour être sécurisant, alors les enfants doivent être éloignés de la vente, pas seulement du marché, mais de toute vente. La protection de l’enfance doit inclure le cas des enfants vendeurs. Cela ne veut pas dire augmenter la paupérisation en privant les parents de leurs aides. Toutefois, la prise en charge de cette protection pourrait conduire à des initiatives, à la création d’unités de production et de distribution de ces aliments qui amènent les enfants au marché. Ces unités participeraient mieux au développement. La Covid-19 peut rendre plus pressante la question de la sécurité des enfants. Sous cet aspect, la sécurité des enfants est aussi celle des adultes. Le marché traditionnel du Sahel est un lieu de forte concentration humaine, et les transactions et échanges (salutations d’usages par exemple) se font de vive voix. Aussi, enfants et aliments ne sont pas à l’abri de risques des contaminations et des contagions
La seconde partie du récit, courtiser le marché est aussi d’actualité. Que faire pour protégés suffisamment ces rassemblements de la Covid-19 ? ces rassemblements connaissaient d’autres fléaux plus ou moins semblables, que faisaient-ils pour se protéger ? Ce que l’on ne sait pas assez ou pas du tout, c’est qu'une certaine distanciation physique était observée tacitement : avec respect, on évite de frôler ou de se laisser frôler par quelqu’un qu’on ne connait pas, ne sachant pas qui est «quoi» ou quoi est «qui». On ne touche pas l’enfant d’autrui (ça peut lui donner la fièvre), puis chez certaines personnes il y a les ablutions rituelles ou au retour du marché… et bien d’autres rites qui trouveraient explication rationnelle en se penchant sur la question.
La première tout comme la seconde partie du récit d’Aminta laissent percevoir le Sahel lieu de brassage de civilisations plus ou moins lointaines dans le temps et l’espace. Ce brassage s’expose aussi au marché dans les produits de l’artisanat, des aliments (beignets, galettes… ), des us et coutumesou dans le port vestimentaire : la culture n’a pas de frontière /la culture est sans frontière. Quoi qu’il en soit, c’est avec ses hommes que la culture voyage !
Pour ce qui est de la peur des radiations au coucher du soleil sous les tropiques, ces personnes de le « Marché !!! » auraient-elles une quelconque connaissance des rayonnements UV ? qu’est-ce qui les fait redouter les radiations à ces heures où l’indice UV de la journée a décru par rapport à la moitié de la même journée ? Bref de nombreuses questions peuvent être posées à ce sujet.
Concernant la Covid-19 l'opinion d'A&D, «Ces marchés, pour protéger leur monde contre le visible et l’invisible, auraient-ils leurs secrets, leurs armes ? Sans doute que oui ! » , trouve justification dans les récits d'Aminta. Le secret de ces marchés, ne serait - il pas dans la crainte ? ne sachant pas qui est quoi ou quoi est qui, la distanciation physique se faisait, tacitement, avec respect.
Fourra :
met à base de petit mil et consommé délayé dans du lait
Coupe-coupe
: arme à lame épaisse, plus longue qu’une
machette et moins qu’un sabre
La sécurité au Sahel : l'insécurité au Sahel d'il y a 50 -100 ans ou un peu plus était essentiellement du fait d'attaque par les animaux sauvages, (Hordes de chiens sauvages, buffle et panthère... rarement de lion ) ou des morsures de serpents
Le terme «
marché » renvoie au lieu des transactions et aux prérogatives
«Raconte-moi le marché - Courtiser le marché » : Lien n°7,
novembre 2005, page 24.
Le marché
est un « esprit femelle »
Expression
d’origine arabe : dans le contexte des transactions se traduirait par le terme
« En vérité ou par la grâce ! »
« Le Marché
!!! » - Lien n°6
Entrée principale du marché
Le marché raconté dans cet
article est celui d’il y a 50-100 ans. Les épineux sont toujours là et la halle comme d’hier. Le reboisement a remplacé les hangars de
paille, l’urbanisation a sans doute augmenté la concentration humaine du marché.
La lutte actuelle contre la Covid-19 ne justifie-t-elle pas la distanciation physique d’usage racontée dans cet article ?