Forage et développement durable en zone sahélienne
Forage et développement durable en zone sahélienne - Article aliment-et-developpement.com - Avril 2016
"La journée mondiale de l'eau" 2005 était sur le thème de "L'eau, source de vie". Cela est très vrai autour d'un forage, comme l'on peut le voir sur la photo, dans de nombreuses régions du Sahel.
Le forage est source de vie, "Aliment et développement" en fait le diagnostic développement durable en quelques points.
Denrée alimentaire indispensable, l’eau doit être accessible à tous. Des points d’eau communément appelés la pompe, comme celui de cette image, combien y en a-t-il au Sahel ? des dizaines de centaines sans doute. Tous ont une histoire dont le point commun est une rencontre, une amitié et une solidarité pour répondre au besoin essentiel d’une population : l’alimentation en eau potable. Cette initiative donne envie d’agir pour contribuer à sa dynamique. Aliment-et- developpement.com fait le point sur ce qui est réalisé, ce qu’il en résulte et ce qui pourrait être la suite de cette initiative.
Ces points d’eau, la pompe, peuvent-ils répondre aux critères du développement durable comme définis dans le rapport Brundtland (1987) et la charte de l’environnement ? Rappelons que ce rapport définit le développement durable comme suit : "Développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs". Quant à la charte de l’environnement, inscrite dans la constitution française en 2005, indique que les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable en conciliant protection de l’environnement, développement économique et progrès social. Les pays du Sahel sont sur la même voie.
a) L’alimentation en eau, source d’activités économiques
Autour d’un point d’eau comme celui-ci, c’est d’abord une population restaurée et la quiétude retrouvée après de nombreuses années de longues périodes de sécheresse.
La proximité, la disponibilité et l'accessibilité en eau renforce les activités domestiques des populations.
Ce point d'eau assure la reprise d'activités économiques ou la création de nouvelles en saison sèche:
La distribution de cette eau assure un revenu monétaire à quelques jeunes qui en ont fait un métier en desservant les habitations plus ou moins éloignées de la pompe.
De nombreuses activités de transformation des produits agricoles, le mil, le haricot et l'arachide, connaissent de nouveau un regain d'intérêt dans une agglomération autrefois industrieuse.
La mise en valeur des lotissements de terrains a créé des emplois saisonniers en maçonnerie et l'agglomération en bénéficie largement grâce à la pompe. Qu’il s’agisse de la confection de briques et parpaings, de la construction, de la couverture et des ouvertures d’habitats, ces travaux sont réalisés par les artisans et la main d’œuvre de l’agglomération.
La possibilité d'abreuver le cheptel pendant la saison sèche n’est plus un souci majeur pour les éleveuses qui s’adonnent à l’embouche, une activité à haut risque quand l’eau est rare ou quand elle est de mauvaise qualité (boueuse).
Ce point d'eau répond aux besoins immédiats des populations en saison sèche : l'alimentation en eau assurée, les activités domestiques et économiques ne souffrant plus de la pénurie en eau peuvent être régulières et croissantes.
b) Une eau de qualité
La qualité de l’eau est liée à plusieurs facteurs qui sont : la nature de l’aquifère, la bonne gestion de cette eau et de son environnement. La pompe de cette agglomération réunit plusieurs conditions favorables pour une eau de qualité acceptable. En hivernage, la saison est pluvieuse de mai à septembre avec de fortes précipitations en juillet et août. L’eau des pluies en arrivant au sol se répartit entre la végétation des champs (cultures, herbes, buissons et quelques arbres (acacia, tamarinier, karité et cerisier d’Afrique), le ruissellement, l’évaporation et le reste d’eau de pluie est absorbé par le sol et connaît deux destinées : l’une percole à la surface du sol et l’autre est conduite vers la nappe souterraine. Cette aquifère se renouvelle régulièrement. Aussi longue que soit la durée de la sécheresse, les pluies arrivent toujours. Ces dernières années, elles arrivent toujours fortes et abondantes en début de saison au point de causer érosion, inondations, dégâts matériels et voire même perte en vies humaines innocentes*. La pompe se trouve à mi-chemin entre les pentes de trois collines juxtaposées et le fond du vallon. Le ruissellement torrentiel des eaux, du fait des pentes des collines, creuse et ravine le sol augmentant l'infiltration. Ainsi, l’alimentation de la nappe phréatique est assurée. L’emplacement de la pompe présage la bonne qualité de l'eau. Le relief de l’endroit est escarpé, constitué de petites collines et de vallons. Le terrain est sablonneux en surface et latéritique en profondeur. Par la nature de l’aquifère cristallin et assimilé, on peut soupçonner une eau riche en minéraux. La qualité hygiénique de l’eau de la pompe est présumée satisfaisante :le forage est profond (les niveaux statiques dans les forages dans cette région du Sahel varie entre 10 et 25 m) ;les champs qui occupaient autrefois le terrain n'avaient jamais connu d'engrais chimiques, la fumure organique des étables et bergeries et le compost des labours fertilisaient les sols ; le forage étant en amont de l’agglomération, les fosses d’aisance ne peuvent influencer la qualité de son eau. Aussi, les risques naturels de contamination en germes pathogènes par la matière fécale peuvent être écartés.
c) L’eau pour un environnement de vie
Plus que partout ailleurs, « l’eau crée l’environnement », source du développement durable, est vrai et perceptible dans ces régions où cette denrée alimentaire est rare en saison sèche. La quiétude retrouvée, les activités domestiques et économiques n’étant plus liées à la pénurie en eau, la pompe a dynamisé la vie de l’agglomération. Elle est un élément vital de l’environnement humain. Mais pour combien de temps ?
La disponibilité en eau facilitant les constructions, les champs de mil disparaissent un à un pour des habitations de zones non loties : une occupation pas toujours harmonieuse de l'espace autour du point d'eau.
Ces champs de mil ne seront peut-être pas lotis de sitôt alors que la concentration en population est de plus en plus forte.
Quand même le lotissement se fera, l’adduction d’eau potable du réseau urbain peut prendre des années. Les barrages manquant d’eau pendant la saison sèche et pour diverses raisons techniques, des habitations resteront longtemps tributaires de l’eau de la pompe.
La distribution d'eau de la pompe nécessite une infrastructure adéquate. Les charges d’eau (bonbonnes en charrettes ou en motocyclettes et sabots des animaux de trait) n’arrangent pas les effets de l’érosion des sols. Certaines voies des eaux de ruissellement sont plus empruntées que les sentiers existants, elles sont «plus circulables», élargissant ainsi ravins et crevasses ce qui peut favoriser des inondations de terrains lors des fortes pluies en début d’hivernage*.
La présence de la pompe a accéléré la création d’une zone non lotie. L’environnement de vie qu’offre ce point d’eau ne sera complet sans une meilleure occupation de l’espace, sans l’aménagement des voies de ruissellement d’eaux de pluie, sans création de pistes pour le transport d'eau et surtout une éducation de masse sur les enjeux environnementaux liés à l'urbanisation.
d) Une eau saine dans un environnement sain
La question du développement durable dans son ensemble, est aussi celle d’une eau saine dans un environnement sain ou celle de l’environnement sain pour une eau saine. Dans cette région du Sahel, il n’y a pas d’industries produisant ou utilisant les énergies fossiles ou les produits chimiques. La seule source de pollution plausible serait la proximité des zones minières aurifères, quand souffle l’harmattan, en saison sèche, et la contamination des eaux souterraines par les eaux des traitements pour extraire le minerai. La pompe est à plus d’une centaine de kilomètre de ces lieux. Cependant, tout comme les gaz, la poussière peut aller loin de son lieu d’émission. Aussi elle peut affecter l’environnement de toute manière. De même, la pollution par des produits chimiques d’une nappe souterraine peut être le fait des eaux de surface ruisselant pendant l’hivernage. Quand même la pompe est à plusieurs kilomètres de cours et retenues d’eau et le relief pouvant avoir un effet protecteur contre la poussière, l’évaluation du risque chimique est toujours une chose positive : la génération présente pourrait dire il n’y a pas de contamination et la génération future, en entreprenant sa propre évaluation du risque, dirait il n’y avait pas de contamination. Les générations, c'est aussi l'exploitant minier, et la prévention est pour tous
Le point d’eau, si petit soit-il, un environnement sain pour une eau saine ou une eau saine dans un environnement sain, est une question de gestion. Elle peut être assurée par une régie. Quel que soit son mode de fonctionnement, sa taille, la régie est un organe de responsabilité et de responsabilisation. Dans le cas présent, la gestion des eaux et de l’environnement de la pompe par la régie pourrait porter sur les points suivants :
·le suivi de la qualité de la nappe souterraine : débit d’eau à la pompe et analyse qualitative de l’eau (charge minérale, normes de l’eau potable) ;
·veiller la salubrité des abords de la pompe ;
·veiller le conditionnement de l’eau tirée de la pompe : la nature des matériaux constituant les fûts et bonbonnes, leur propreté (la nature de leur précédent contenu est à connaître d’où l’avantage de ne pas enlever les étiquettes) et la facilité d’entretien qui n’affecterait pas l’eau (au Sahel, l'écart de température entre le jour et la nuit, fragilisant les matériaux en plastique, peut favoriser la migration de composés chimiques) ;
· veiller la fréquentation (fréquence des usagers), le bon fonctionnement et l’entretien de la pompe.
Pour ce qui est de la veille de la qualité de l’eau stockée chez l’habitant, elle est de la compétence des services d’hygiène (conseils aux populations, surveillance du contact eau-récipient pour un stockage de longue durée… ), mais concerne toute la population qui doit signaler à la régie, aux services d’hygiène et sanitaires tout changement, dans la qualité et la consommation de l’eau.
En conclusion
Ce point d'eau répond aux besoins immédiats des populations en saison sèche : l'alimentation en eau est assurée.
Pour ce forage et la population présente qui en bénéficie, la première partie de la définition du développement durable selon le rapport Brundtland (1987) est satisfaite et la seconde est juste abordée.
Un point d’eau, le forage et sa pompe hydraulique, sort un peu du cadre classique eau-environnement et développement durable. En effet, ce point d'eau n'existant que par la volonté de l'homme est contrôlable. La question par où commencer la stratégie de mise en place de la gestion et de la prévention de son impact sur l’environnement ne se pose pas avec autant d’acuité comme dans le cas d’un cours d’eau ou même d’un simple puits existant depuis longtemps.
Une eau saine dans un environnement sain ou un environnement sain pour une eau saine, est un grand pas en développement durable. L’avancée de ces prises de consciences mérite d’être soutenue.
La mise en place d’une régie est sans doute l’élément le plus important après l’installation de la pompe. Les tâches de la régie ne seraient pas seulement de faire payer les usagers dans le seul but de pouvoir remplacer une pièce de la pompe en cas d’usure. La régie aurait pour mission la gestion des eaux et de l’environnement et impliquerait les services de santé et d’hygiène.
La régie peut être une cellule de réflexions sur des projets autour de la pompe : l’installation d’une pompe hydraulique à fonctionnement solaire pour améliorer la production d’eau entre dans le cadre du développement durable et des énergies nouvelles et renouvelables. Un tel projet est réalisable à court terme. La pompe, répondant aux meilleurs critères d’une eau saine dans un environnement sain, peut ouvrir de nouvelles perspectives de développement autour de l’eau.
Ce point d’eau, la pompe, peut constituer un modèle de développement durable dans son genre, reproductible et transposable.
* Kaya: Décès d’un garçonnet de 4 ans causé par la pluie. Articlewww.aouaga.com avec l'AIB du 21/05/2016 La dégradation des sols due aux eaux de ruissellement est aussi la grande question de l'environnement et du développement durable dans cette région du Sahel.
Quelques références bibliographiques
BANQUE MONDIALE, Étude sur l'optimisation du coût des forages en Afrique de l'Ouest, ANTEA Rapport de Synthèse – Rapport n° A 44743/B, Juin 2007, 65 p.
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VILAGINÈS R., Eau, environnement et santé publique – Introduction à l’hydrologie, Lavoisier Tec & Doc éd., 2003, 198 p.