Alimentation et nutrition   ñ

Sciences et techniques

L'aliment, "se nourrir et être rassasié"

Article n°10


Composition des aliments :  pigments et additifs 


Les pigments

Les pigments, par opposition aux colorants artificiels, sont responsables de la coloration naturelle des aliments. Ils ont deux sources : l'une est cellulaire et l'autre est technologique. Les pigments cellulaires sont des substances colorées à l'intérieur des cellules végétales, animales ou sont produites par des microorgansmes. Quant aux pigments technologiques, substances colorées, ils résultent des réactions, entre composants de l'aliment et  le milieu, qui ont lieu au cours des opérations de transformation.

Les pigments cellulaires 

Les pigments végétaux 

La source végétale de l'alimentation humaine est constituée pour l'essentiel de plantes vertes. Ces plantes ne peuvent vivre sans lumière, laquelle intervient dans toute leur vie. La lumière favorise la croissance de la plante (phototropisme) et son développement (photopériodisme). Elle intervient dans les réactions biochimiques (photosynthèse), assurant l'autotrophie végétale, c'est à dire la faculté de produire de la biomasse à partir des molécules minérales simples (eau, sels minéraux du sol, dioxyde de carbone et l'oxygène de l'air). L'énergie apportée par la lumière à la vie de la plante  pour sa croissance et son développement est faible  par rapport à celle apportée à la photosynthèse. 

La photosynthèse nécessite l'intervention de pigments: les pigments assimilateurs (chlorophylles) et les pigments accessoires (les phycobilines et les caroténoïdes) qui leur sont associés.  

Les pigments chlorophylliens

Les pigments chlorophylliens sont des chromoprotéines dont le groupement prosthétique est une chlorophylle (voir structure). Il existe plusieurs chlorophylles et elles sont responsables de diverses colorations : les chlorophylles a et b sont présentes chez les plantes et les algues vertes. Chez ces végétaux, la chlorophylle est un mélange de chlorophylle a et de chlorophylle b en proportion 3/1. 

Les chlorophylles assurent la captation et la migration de l'énergie solaire, puis sa transformation en énergie chimique. Le rendement entre l'énergie reçue et l'énergie transmise par les chlorophylles est de 95 % , tandis qu'il est de 40 à 45 % dans le cas des pigments accessoires. 

Si les chlorophylles sont le pigment dominant chez les plantes supérieures terrestres et confèrent aux feuilles et aux fruits avant maturation leur couleur verte, elle est aussi le pigment caractéristique de certains fruits et légumes (Figure 96).

Figure 96 - Les verts du pigment chlorophyllien 

Les chlorophylles c et d, quant à elles, constituent respectivement les pigments des algues brunes et rouges. 

Les caroténoïdes 

La maturation des fruits et les changements de coloration des feuilles à l’automne résultent de la dégradation des pigments chlorophylliens a et b et de l’apparition d’autres pigments appartenant principalement aux groupes des caroténoïdes  et  des flavonoïdes.

Les caroténoïdes comprennent principalement les carotènes et les xanthophylles aux couleurs jaunes, orange et rouges (Figure 97). 


Figure 97 - Structures des caroténoïdes

Le bêta-carotène, est le caroténoïde le plus connu des aliments: précurseur de la vitamine A, utilisé comme colorant, il est présent dans les produits alimentaires d'origines végétales et  de ceux de la pêche. 

Les Xantophylles sont responsables de la coloration jaune des téguments extérieurs de certaines céréales ou de la peau de la banane ou encore de la pelure de certains fruits et légumes.

En plus de la similitude de structure de ces deux composés, les carotènes et les xanthophylles absorbent dans le bleu-vert avec un maximum vers 480-500 nm. Ainsi, bêta-carotène ou autre caroténoïdes ? c'est dire l'importance du  choix des méthodes et techniques d'analyses et de détermination des constituants de l'aliment. 

Les flavonoïdes

Les flavonoïdes, principalement les anthocyanidols, les flavonols et  les produits de leurs transformations, sont rouges, violets ou bleus et sont responsables de la coloration de certains fruits dont les cerises, les pêches, des variétés de prunes ou de pommes (Figure 98). Les flavonoïdes et dérivés sont dotés d’une grande réactivité : certains changent de coloration en fonction principalement du pH et de la température.

 

Figure 98  - Structure générale des flavonoïdes responsables de la coloration des fruits "rouges" 

Les pigments phénoliques

Les tannins résultent d’une transformation enzymatique naturelle des polyphénols (Figure 99). Ils constituent la coloration caractéristique de certains végétaux (organes et fruits). Ils sont également responsables de nombreux caractéristiques organoleptiques des produits transformés. C'est le cas du vin, produit de la transformation du jus de raisin, le fruit de la vigne, où l'aspect (la robe) et la flaveur dont le goût (l'astringence) entre autres éléments d'appréciation sont dus aux tannins.

Figure 99 - Substrats et pigments  phénoliques

Tous ces pigments, la chlorophylle, les caroténoïdes, les flavonoïdes et les tannins sont présents, à des teneurs plus ou moins importantes, chez tous les végétaux supérieurs selon le genre, l'espèce, la variété, l'organe, la saison ou l'environnement.  Les figures 98 et 99 montrent que les colorations ne suffisent pas pour dire  qu'il s'agit de tannins ou de flavonoïdes pour le pigment dominant. Il faut d'autres critères organoleptiques dont le goût et dans tous les cas, l'analyse technique. L'exemple est peut-être mince pour parler de vigilance alimentaire avec des propos semblables à celle de la pharmacovigilance en ce qui concerne l'aspect des produits: l'aspect d'un produit ne témoigne pas toujours de sa composition moléculaire.

Les pigments de sources animales

Les pigments de sources animales de l’alimentation sont principalement des pigments porphyriques, l’hémoglobine de la coloration du sang,  la myoglobine  de la coloration des muscles et accessoirement les produits de leur dégradation ou de leur modifications technologiques. 

Les pigments biliaires, produits de la dégradation de l’hémoglobine et constituants de la bile, pour diverses raisons, peuvent contaminer les aliments d’origines animales (le foie). Les  aliments contaminés sont d'une coloration jaune-verdâtre et d'un goût amer les rendant impropres à la consommation.  

La myoglobine, le colorant naturel des viandes rouges, peut subir plusieurs modifications (Figure 100) responsables de diverses colorations de la viande consommable : la coloration rouge pourpre de l’intérieur de la viande fraîche  est due à la myoglobine (Mb) ; la coloration rouge vif de la surface de la viande  est due  à l’oxygénation de la myoglobine en oxymyoglobine (MbO2), la coloration brune de la viande est due à la metmyoglobine produit de l’oxydation de la myoglobine ou de la réduction de l’oxymyoglobine .

Figure 100 - Les modifications de la myoglobine 

D’autres pigments résultent de la dégradation de la myoglobine et de la metmyoglobine. Ce sont: la cholémyoglobine et la sulfomyoglobine. La première résulte de la dégradation par oxydation de ces composés, tandis que la seconde est le produit de leurs réactions avec des composés soufrés (protéines et acides aminés soufrés). La cholémyoglobine et la sulfomyoglobine sont  toutes deux  de couleur verte. Elles  sont impropres  à  la consommation. 

L' altération des viandes mal entreposées, sous l'action de certaines bactéries dont les genres Pseudomonas ou Clostridium ou encore Penicillium, se caractérise également par un changement de coloration : la viande en début d'avarie verdit ou noircit.  

Les insectes sont aussi  sources de pigments. Le carmin, pigment de coloration rouge (Figure 101) est le colorant E 120. Il provient de la femelle de la cochenille (Dactylopius coccus) insecte d'une plante grasse, le nopal. Diverses teintes du rouge sont obtenues selon le procédé d'extraction utiliséL'origine de l'utilisation de ce pigment semble remonter aux Aztèques,  à la découverte de l'Amérique et au commerce, comme laisse entendre les confidences du "Vieillard, qui toujours plaint le présent et vante le passé " du conte de Voltaire "L'homme aux quarante écus".

Figure 101: Le carmin, le colorant E 120

Pigments résultant des traitements technologiques des aliments 

La cuisson, le fumage, la salaison, la fermentation et le séchage sont les principaux modes de traitements technologiques  des aliments. Ils lui confèrent  sa coloration spécifique pour la consommation, par la formation de pigments. Cette coloration, par opposition à l'incolore,  quel que soit le mode de  traitement est de la gamme du brun.  Par conséquent, le changement de coloration par le traitement technologique des aliments résulte du brunissement et a diverses origines. Elles sont  enzymatique, non enzymatique et chimique. Elles peuvent être ou non sous l'effet de la chaleur.

Les pigments du brunissement enzymatique 

Le brunissement enzymatique, responsable de la formation des tannins chez les végétaux riches en composés phénoliques,  intervient également au cours des opérations de transformations préliminaires des fruits  et  légumes que sont l'épluchage, le découpage, le malaxage, le pressage et le broyage.  Le brunissement se produit également au cours  du conditionnement dont le séchage et le stockage tout dépend de l'activité de l'eau (aw ) du produit

Le brunissement enzymatique est un ensemble de réactions de quinones avec le milieu environnant. Ainsi, les quinones réagissent avec l'eau du produit ou des opérations de transformation pour donner des trihydroxybenzènes, lesquels réagissent entre eux pour donner des hydroxyquinones (Figure 102). 

En se polymérisant, les hydroxyquinones donnent des pigments communément appelés mélanines (bruns et noirs), mais ils peuvent être d'autres couleurs intermédiaires (rouge, orange, bleu...) selon le mode et les conditions environnantes de transformation. 

Figure 102 - Formation de mélanines en milieu aqueux 

Les quinones peuvent réagir avec des radicaux SH (figures 103) et NH2 d'acides aminés et de protéines et donner des composés colorés, limitant également la disponibilité des acides aminés indispensables dans l'aliment. 

Figure 103 - Réactions des quinones avec les protéines et les acides aminés

Le brunissement enzymatique ne concerne pas les aliments d’origine animale. 

Les  pigments du brunissement non enzymatique

Le brunissement non enzymatique des aliments a plusieurs origines aussi différentes que complexes les unes des autres  : elles sont thermiques comme la réaction de Maillard  et la caramélisation;  elles résultent d'oxydations de composés instables comme la dégradation avec dégagement de CO2 (en aérobie et en anaérobie) l'acide ascorbique; elles peuvent résulter de la chélation de métaux par certains composés de l'aliment.

Les pigments des traitements thermiques 

Les traitements thermiques sont toutes les opérations technologiques qui font intervenir la chaleur :  ce sont les cuissons (la cuisson à l'eau, la cuisson extrusion, les grillades ou les fritures), la stérilisation, le séchage et l'évaporation. Il en résulte la formation de substances colorées dues à diverses réactions  dont la réaction de Maillard , la caramélisation et les modifications de la myoglobine. 

 La réaction de Maillard 

Au cours de la transformation des  aliments, comme la cuisson, sous l’effet de la température apparaissent des pigments bruns ou noirs. Ces pigments résultent d’une réaction non enzymatique appelée : « Réaction de Maillard » du nom de l'auteur qui l'a décrite. Cette réaction se produit lorsque l’aliment contient des glucides (sucres réducteurs) ou tout autre composé à fonction carbonyle libre (vitamines C et K, arômes naturels comme la vanilline) et des composés aminés dont les protéines, les acides aminés ou leurs dérivés (Figure 103). Cette réaction n’a pas que des effets défavorables (la formation de pigments bruns ou noirs), elle en a également de favorables (la recherche d’une certaine coloration ou d’un certain arôme de l'aliment). 

Figure 104 - Voies du brunissement non enzymatique (d'après J-CCHEFTEL et H. CHEFTEL- 1977)

La caramélisation

La caramélisation consiste à chauffer, en présence d’un catalyseur le plus souvent acide, à une température supérieure à leur point de fusion les sucres simples mono et disaccharides. Les sucres les plus utilisés sont : le fructose (110° C, 230° F) , le glucose (160° C, 320° F) ou le saccharose (160° C, 320° F).  Les étapes de la caramélisation sont des réactions d'hydrolyse (lorsqu'il s'agit du saccharose), d'isomérisations (glucose-fructose), d'énolisation (en solution, un composé carbonylé s'interconvertit en énol  catalysée par un acide AH ou une base BH), des réactions de déshydratation et de réarrangement, le tout aboutissant à la formation de l'hydroxyméthylfurfural (figure 105). Ce produit est le précurseur des composés de la gamme du brun, d'arômes et de saveurs différents qui font les caramels.

Figure 105 - structure de l'hydroxymétylfurfural 

Depuis quelques temps, les produits de la caramélisation sont utilisés comme additifs alimentaires.  Il s'agit des constituants non volatils du caramel dont les dianhydrides du fructose, DAFs, et divers produits qui en dérivent. Ils sont formés aux premières étapes de la caramélisation, le traitement thermique du D-fructose, du D-glucose  et du saccharose  en présence d'un acide (figure 106).   

Figure 106 - Formation de dianhydrides du fructose (DAFs) et autres composés de la caramélisation (d'après  DEFAYE J. and al -  2000 )

Traitements des produits carnés

Les traitements  des produits carnés sont thermiques. Ils sont aussi chimiques comme la salaison qui modifie la  myoglobine et donne aux produits leurs colorations spécifiques (la couleur rosée du jambon par exemple).  

L’action de la chaleur et de l’oxygène sur la myoglobine (Figure 107) donne le ferrihémochrome responsable de la couleur brune de la viande cuite. Sous l’effet de la chaleur et dans des conditions réductrices, la myoglobine et le ferrihémochrome  sont  transformés en ferrohémochrome responsable de la couleur rose des conserves en boite  des viandes et poissons.

Figure 107 - Modifications de la myoglobine par la chaleur 

En charcuterie, les nitrites ou les nitrates de la salaison forment sous l'action de la chaleur avec la myoglobine (Mb)  ou l'oxymyoglobine (MbO2) des nitrosomyoglobines de couleur rouge et ou des nitroso-ferrohémochromes (Figure 108).

Figure 108 - Modification de la myoglobine par la salaison et par la chaleur

Les pigments des réactions chimiques ne faisant par intervenir la chaleur

Des réactions chimiques de dégradation ou de formation de composés   peuvent se produire  au cours du conditionnement et du stockage de certains produits. Ces réactions comptent la dégradation de composés instables comme l'acide ascorbique ou encore la chélation de métaux par les composés de l'aliment. Toutes conduisent à la formation de pigments.  

La dégradation  de composés instables 

L’acide ascorbique (la vitamine C), principalement dans les jus de fruit, se dégrade avec formation de pigments et  production   du CO2. Ces réactions chimiques ont lieu en aérobie aussi bien qu’en anaérobie. Les produits finaux sont l’acide furoïque dans le premier cas et le furfural dans le second cas (Figure 109). C’est la polymérisation de ces composés qui donne la coloration brune des jus ou des compotes avec dégagement de CO2. 

Figure 109 - Coloration brune de la compote de pomme et bulles de gaz  dues à  la dégradation de l'acide ascorbique

Le tableau XXIII de la composition en vitamines de fruits montre que la teneur en vitamine C est plus élevée pour les fruits à pulpe colorée (melon, mangue, abricot) que pour les autres fruits (pomme, avocat et banane) - L'on sait par ailleurs que la pulpe de ces  fruits brunit instantanément au contact de l'air.  Ce brunissement serait-il dû à la dégradation de l'acide ascorbique accentuée par le temps de préparation à l'analyse et expliquerait ces teneurs moins élevées que celles des pulpes colorées ?  Pour ces composés instables comme la vitamine C, la détermination à la fois de leur teneur et de celle du produit final de leur dégradation peut être nécessaire lorsqu'il s'agit de comparer des produits. 

La chélation des métaux

L’ortho phénol donne des chélates avec certains métaux, dont le fer (figure 110), à l'origine de la formation de pigments bruns. D'où la nécessite des soins apporter au matériel métallique lors des opérations de transformation, de conservation ou de conditionnement et  de la lutte contre la corrosion dans les industries alimentaires. Ces soins portent notamment sur le choix des appareillages selon leur constitution (la nature des alliages) et la qualité de l'eau intervenant aux différentes étapes de la transformation dont le nettoyage du matériel, la cuisson des aliments, la stérilisation, le refroidissement...).  

 Figure 110 - Chélate d'ortho phénol avec le fer

Les pigments d'origines végétales, animales, minérales, microorganiques ou technologiques sont aussi des additifs alimentaires et sont appelés colorants naturels. Les nombreux produits agricoles sont sources de colorants naturels pour répondre à tous les goûts.  Suite